Dour: la gare qui fit son festival


L’histoire de la gare de Dour (Hainaut) est intimement liée à celle du charbon. Une « gare charbonnière » y fut ainsi mise en service le 1er octobre 1840. Dour est ensuite devenue une véritable porte vers la France, via Elouges et Quiévrain vers Blanc-Misseron (L 98), via Roisin-Autreppe, vers Bavay et Cambrai (L 98a). De nombreuses entreprises étaient raccordées à la station douroise. Le transport des voyageurs, lancé en 1872, fut supprimé le 29 mai 1960, celui des marchandises le 13 août 1961. Le bâtiment principal a été rasé en 1980. Mais la gare a connu une autre vie… quand elle se mit à courir et à faire son festival!

Si joyeuse et prospère au temps de sa splendeur, la gare de Dour, aujourd’hui, n’est que ruines et désolation. Jadis très florissante, hyperactive, plurielle, la station douroise, engouffrée dans le tourbillon infernal qui marqua la fin de l’exploitation du charbon dans les années cinquante, a fermé ses portes au début des années 60. Son quartier, si vivant à la grande époque, s’est éteint au fil du temps. De la station mise en service le 24 novembre 1872, il ne reste que l’ancien magasin aux marchandises, désormais propriété privée, en perdition. Et pourtant…

Pourtant, la gare de Dour a vécu et bien vécu! Premier mouvement: l’exploitation du charbon, notamment au charbonnage de la Grande Machine à Feu, nécessita la création d’une gare charbonnière, qui fut mise en service le 1e octobre 1840. La plateforme, composée d’un faisceau de huit voies et de deux voies en cul-de-sac, était toutefois plus modeste que sa grande sœur de Warquignies: on collectait à Dour les productions des Charbonnages unis de l’Ouest de Mons (CUOM), notamment des puits de la Grande Machine à Feu toute proche, de Vedette, de la Sentinelle et de Saint-Louis à Boussu-Bois, de Saint-Frédéric, des exploitations sur les hauts de Dour du Longterne-Trichères, de Sainte-Barbe, de Sainte-Catherine et des Chevalières, plus tard de Longterne-Ferrand (1846), de Belle-Vue à Elouges (1860) ainsi que l’Avaleresse de Baisieux. La ligne privée du site des Houilles Grasses à Elouges (1881) allait se prolonger en 1893 vers la Sucrerie Tellier et, en 1925, vers la Fabrique Nationale de Produits Chimiques et Explosifs. Tout tournait autour de l’exploitation du charbon, ou presque, car une ligne en plan incliné desservait un moulin à farine, le Moulin Molet.

Les traces d’une ligne industrielle, liée aux compagnies de Mons à Hautmont et de Saint-Ghislain et dont les traces apparaissent déjà en 1840, existait entre Dour, Elouges et Thulin. Les deux compagnies privées furent cédées à bail à la Compagnie française du Chemin de Fer du Nord le 1er juillet 1858. Ce réseau privé, comprenant la liaison Dour-Thulin, reliait une partie des houillères du bassin du Couchant de Mons à la Sambre et des rivages du canal Mons-Condé. La Compagnie du Nord était gérée par la banque de James de Rothschild: le capitaine d’industrie allemand avait donc accès au charbon du Borinage. L’axe Dour-Thulin, long de 2,855 kilomètres, allait toutefois être rendu obsolète par l’arrivée de la ligne 98 en gare de Dour et fut ainsi supprimé en 1873.

Le vicinal aurait pu se rapprocher de la gare de Dour: le projet d’une ligne qui devait aboutir en cul-de-sac tout près de la gare de Dour, avec quais de transbordement au niveau, n’a toutefois pas été réalisé.

La gare voyageurs

Deuxième mouvement: les personnes. La gare voyageurs de Dour fut mise en service le 24 novembre 1872, en même temps que la ligne de l’Etat venant du Borinage via Warquignies et qui allait être prolongée vers la gare-frontière de Quiévrain via Elouges, la ligne 98. Un second axe transfrontalier allait voir le jour le 1er mai 1882 entre Dour et Roisin-Autreppe, la ligne 98a, un axe de 11 kilomètres très bucolique qui ouvrait la voie vers Bavay et Cambrai. Dour fut donc, dans ses grandes heures, une gare internationale à double titre: elle fut reliée en 1872 à la France via Elouges, Quiévrain et Blanc-Misseron (L98) et, dix ans plus tard (12/06/1882), via Roisin-Autreppe et Bavay (L98a).

La station douroise était équipée de trois voies, deux pour Quiévrain, une pour Roisin, et de deux quais. Elle comprenait également une cour et un hangar aux marchandises ainsi qu’un quai de chargement et une voie de cour, une remise technique, une cabine mécanique de type Saxby qui gérait signaux et aiguillages ainsi que le passage à niveau. Plusieurs entreprises y étaient reliées via le raccordement de l’Ouest de Mons (CUOM) qui plongeait, via Elouges, jusqu’au charbonnage de l’Avaleresse de Baisieux; cette liaison allait desservir plus tard les câbleries de Dour ainsi que la brasserie Cavenaile. Les Ateliers Patte de construction métallique étaient également reliés à la gare. Un « Hôtel des Voyageurs », situé à proximité et où la cuisine était ouverte à toute heure, complétait ce bouillonnant ensemble.

Le premier chef de gare à Dour s’était installé dans l’appartement de fonction du bâtiment principal le jour-même de l’ouverture de la ligne de l’Etat, le 24 novembre 1872. Le bâtiment, dont la construction avait commencé au début de 1871, comportait une salle d’attente, des guichets, un local administratif, des latrines. La gare allait disposer au début des années 1900 d’un central téléphonique accessible au public. La ligne 98 ne fut jamais électrifiée, laissant libre cours aux vapeurs et aux locomotives diesel: voiture vapeur « VV », type 4, type 16, type 51, autorail type 551, type 81, type 60, 61, 62…

Le déclin de la production houillère et la fin de l’ère des charbonnages dès le début des années 50, poussèrent la gare de Dour vers une inéluctable fermeture. Le trafic voyageurs entre Dour et Roisin-Autreppe fut supprimé le 29 mai 1960, le 19 août 1961 entre Quiévrain et Warquignies. La desserte des marchandises vers Roisin devint épisodique avant sa suppression en 1961. La gare de Dour continua à vivoter après sa fermeture: quelques wagons-trémies de charbon y transitèrent et le raccordement des câbleries de Dour resta actif jusqu’en 1987; la cour aux marchandises fut supprimée en 1989. Le rideau était tombé sur la gare de Dour.

La gare se mit à courir et à chanter

1964. La gare de Dour vivote, l’époque de la grande vie est révolue. Quoique. Le vaste site à l’abandon de l’ancien charbonnage de la Grande Machine à Feu, voisin direct de la gare, a séduit les sportifs locaux, les athlètes, plus précisément. Un groupe de coureurs à pied était né en 1963. Un cross-country avait été organisé sur le site de la Brasserie Cavenaile, à l’autre bout de Dour. Vainqueur: le « grand » Gaston Roelandts! Les athlètes avaient besoin d’un site propre pour y construire une piste, des aires de lancer, de saut. Quelques hectares du site de l’ancien charbonnage furent ainsi acquis par le club de « Dour-Sports » dont les administrateurs et les bénévoles mirent la main à la pâte pour créer leur histoire. Au fil des années, le club, qui existe toujours en 2025, générera quelques-uns des meilleurs athlètes belges, crossmen, sprinters, sauteurs en hauteur, à la perche, lanceurs, décathlonien. Le site s’est étoffé, a reçu une salle d’athlétisme qui a accueilli de grands athlètes belges et internationaux. Le prestigieux challenge national de la Cross Cup y a salué les victoires des meilleurs spécialistes belges!

Le site de la gare et celui du club d’athlétisme ont connu une autre « nouvelle vie », extraordinaire, quand les artistes du Dour-Festival se sont produits sur les scènes de l’événement musical dourois né en 1989: les infrastructures étaient réparties sur les anciens quai, la cour aux marchandises, l’espace de l’ancien bâtiment des voyageurs, les assiettes des anciennes voies. Qui aurait pensé qu’un jour Iggy Pop et ses centaines de collègues artistes viendraient chanter le rock au pied de l’ancien terril de la Machine à Feu, à deux pas de l’ancienne gare?

Aujourd’hui, le Ravel des lignes 98 et 98A a remplacé les voies qu’empruntaient jadis les trains de marchandises et de voyageurs vers Quiévrain, vers Roisin, vers la France… Le vieil hangar aux marchandises de la gare, lui, s’accroche au temps.

Eric Cornu

Pour aller plus loin…

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